Vertiges de la peinture

Günter UmbergL’exposition « Vertiges de la peinture » fait surgir d’un geste précis l’ampleur de la pensée. De l’infiniment petit à l’infiniment grand. A regarder de près les œuvres sur papier d’Agnes Martin, l’œil se concentre sur l’effleurement du tracé dans un espace donné, appelé à s’ouvrir par le caractère répétitif et infini du motif. La peinture se métamorphose en une interface sensible qui reflète l’émotion engendrée par la présence de l’artiste au monde, à l’image des frêles sculptures géométriques peintes de Fred Sandback. Une sensibilité contenue et, en même temps, déjà volatilisée.

L’exposition invite à pénétrer le microcosme de la toile jusqu’à se laisser happer par elle (Günter Umberg). Mark Rothko renvoie à de tels allers-retours dans sa série des Seagram murals pour laquelle il déclarait en 1953 : « Vous avez peut-être remarqué que mes tableaux peuvent avoir deux caractéristiques. Soit leurs surfaces se dilatent et s’ouvrent dans toutes les directions, soit elles se contractent et se referment précipitamment dans toutes les directions. Entre ces deux pôles, on trouve toutes les choses que j’ai à dire. »

Avec le détail comme porte d’entrée, l’œil du regardeur fait une percée dans la toile, accède à l’intimité qui lie le peintre à son tableau. De fait, pour Daniel Arasse, « Le détail donne accès à un secret de peintre : le désir d’échapper à une communication intelligible qui annulerait sa jouissance propre. Ce qui ferait qu’un peintre désire être peintre ». Il est ainsi fort possible que l’artiste y ait caché un message (Walter Swennen) ou d’autres non-dits de la peinture (Victor Man). Documentation Céline Duval traque l’énigme des images renfermées dans les milliers d’albums du fonds Maciet (Musée des Arts Décoratifs, Paris), du nom de ce passionné et collectionneur de reproductions d’œuvres à travers les siècles – Jules Maciet (1846-1911)-. Son intervention sur l’image (nettoyage des photographies, recréation de trames, effets de flou à la prise de vue…) s’apparente au travail de peintre.

L’intérêt porté au détail rend la machinerie du tableau visible. Il faut se rapprocher au plus près des œuvres textiles de Heather Cook, se perdre dans ses plis, pour comprendre qu’ils sont entièrement créés par effet de trompe-l’œil à l’aide de fines gouttelettes d’eau de javel. Cependant, Daniel Arasse attire l’attention sur le fait que « le détail fait digression : de même que dans un discours la digression est un argument qui ne doit pas être trop long au risque de perdre de vue le sujet, le détail est lui aussi un agrément qui ne doit pas trop fasciner au risque de perdre l’ensemble du tableau ». Aussi la délicatesse de la réalisation ne doit-elle pas faire perdre de vue l’acharnement avec lequel le peintre maintient l’œuvre dans l’indéterminé (Julien Carreyn). Le regardeur doit, lui aussi, se déplacer, trouver la bonne distance pour percevoir l’instabilité des images qui lui sont données à voir (Cécile Bart).

Alexandra Fau
VERTIGES_DE_LA_PEINTURE_rouge
Maison des Arts du Grand Quevilly du 11 avril au 18 mai 2014.

 

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